Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/242

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— Vous êtes toujours madame de Ferney, vous avez le droit de rentrer à l’hôtel de Rifay, vous avez celui d’y commander, c’est incontestable ; mais moi, j’ai la mission de vous faire arrêter si vous usez de vos droits et si, ce soir même, vous n’avez pas quitté Paris pour passer la frontière.

— M’arrêter ! s’écria Jeanne avec un éclair dans le regard et en se levant brusquement.

— Comme faussaire ! Votre mari pouvait seul intenter contre vous une action en adultère, mais le parquet peut vous poursuivre d’office pour le crime de faux. J’ai là, entre les mains, votre acte de naissance au nom de Jeanne Reboul, acte à l’aide duquel vous avez trompé votre mari et l’officier de l’état civil qui a prononcé votre union. Or, lisez l’article 147 du Code pénal, il est formel : « Seront punies des travaux forcés à temps toutes personnes qui auront commis un faux en écriture authentique et publique, soit par contrefaçon, soit par altération d’écritures ou de signatures. »

— Je n’ai rien écrit ni rien altéré, dit Mme  de Ferney, en repoussant le Code que M. Dormeuil lui présentait ouvert.

— Soit ! poursuivit l’avocat ; c’est l’article 148 et non l’article 147 qui vous est applicable. Or, l’article 148 est ainsi conçu : « Celui qui aura fait usage de faux sera puni des travaux forcés à temps. »

— D’où vous concluez, monsieur ?

— Qu’il ne vous reste, madame, qu’à vous soumettre, c’est-à-dire à sortir d’ici, à quitter Paris ce soir même et à passer à l’étranger, sinon la moindre revendication de votre part, la première protestation officielle ou publique, le plus léger retard dans votre éloignement, la désobéissance aux ordres de celui dont vous avez causé la mort, après l’avoir déshonoré, votre révolte, enfin, sera immédiatement suivie de votre arrestation. Choisissez : la cour d’assises ou l’exil ; le scandale, dix ans de détention au moins, ou l’oubli et une aisance relative, car la volonté de M. de Ferney est que la somme qu’il vous a reconnue par votre contrat de mariage vous soit comptée.

— Je partirai ce soir, monsieur, répondit Jeanne qui était devenue livide.

Et baissant son voile, elle s’enfuit.

— Ah ! vaincue ! murmura-t-elle, la rage au cœur, en s’affaissant sur les coussins de sa voiture. Heureusement que j’ai en moi ma revanche et ma vengeance.

La misérable femme ne songeait plus à ce lugubre dépôt qu’elle laissait à l’hôtel de Rifay comme une preuve sinistre de son passage, mais seulement à l’enfant qu’elle portait dans son sein, enfant auquel appartenait, quel qu’en fût le père, le nom et une part de la succession de M. de Ferney, l’époux qu’elle avait si lâchement trompé avant de le faire tuer par son amant.