Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/247

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— Oui, au théâtre, dans une loge des premières, couverte de diamants, objet de l’admiration de toute la salle. J’ai cru d’abord que j’avais une hallucination.

— Enfin, qui ? Je ne suis pas devin, que diable !

— Jeanne Reboul ! Oui, Jeanne, plus belle que jamais !

— Jeanne Reboul ! Allons, décidément, mon pauvre Justin, tu finiras par devenir fou ! Comment veux-tu que ta Jeanne Reboul soit en Angleterre, à Londres, dans une loge à Covent-Garden ? Tu la vois toujours et partout ! Tu n’es pas guéri au bout de dix ans et après tant de misère !

— Je l’ai bien reconnue ! Ah ! je ne me suis pas trompé !

— Eh bien ! soit ! Et après ? Je suppose que tu n’es pas venu me chercher pour que je te présente à elle !

— Oh ! je t’en prie, ne plaisante pas, car en la voyant toutes mes idées de vengeance me sont revenues. Ce que je veux, c’est savoir où elle demeure. Il faut que je lui parle. Je la croyais loin et je l’oubliais, à peu près du moins ; maintenant que je la sais près de moi, je sens que ma haine et mon amour n’étaient qu’endormis.

— Bref, que veux-tu faire ?

— La suivre ! Et, pour cela, il me faut ton aide, mon brave Claude. Je vais rentrer au théâtre pour guetter le moment de sa sortie. Toi, pendant ce temps-là, découvre sa voiture, interroge ses gens. Si tu ne peux te faire dire son adresse, nous la suivrons. Retiens un cab et fais-le nous attendre au coin de Garrick-street.

— Soit ! Il faut toujours faire ce que tu veux. Mais que le diable vous emporte tous deux ! Elle avait bien besoin de venir ici pour que tu en redeviennes amoureux ! Rentre dans la salle ; tu me retrouveras sous le péristyle, à la sortie.

— N’attends pas la fin du spectacle, car peut-être partira-t-elle plus tôt.

— Sois tranquille. Je vais me mettre à la recherche de sa voiture. Ensuite je retiendrai un cab et prendrai la faction.

Tout ainsi convenu, Justin Delon remonta rapidement à sa place, pendant que Claude Manouret se dirigeait en haussant les épaules vers Garrick-street, où stationnaient les voitures des habitués de Covent-Garden.

On se souvient qu’après le monstrueux attentat qu’il avait commis à l’hôtel de Rifay en étranglant la petite Berthe, Manouret s’était sauvé à Londres, où il se cachait sous le nom de Jack Bertrand.

Là, tout naturellement, il avait retrouvé Justin qui s’y était réfugié depuis déjà plusieurs mois, car ainsi que Françoise en avait émis l’opinion à sa sœur, en lui disant : ces gens-là, ça revient toujours sur l’eau, l’ex-intendant de la Marnière ne s’était pas noyé, lorsque, pour échapper aux conséquences de son attentat contre Jeanne Reboul, il s’était jeté à la Seine.

Le train de bois sous lequel on l’avait cru englouti avait, au contraire, été son