Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/326

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Intérieurement flatté, quoique fort inquiet de l’air mystérieux du bossu, l’employé prit la lettre qu’on lui tendait, et, après l’avoir attentivement lue et relue, il dit à son visiteur :

— Il m’est impossible d’obéir à M. Pergous : il me charge de vous remettre quatre mille francs, et je n’ai pas la clef de sa caisse.

— La voici, cher monsieur Philidor, fit Méral, en présentant cette clef d’un geste gracieux, la voici !

Le maigre et long clerc marchait de surprise en surprise.

— Qu’est-il donc arrivé ? demanda-t-il.

— M. Pergous a pour vous une telle estime que je crois pouvoir ne vous rien cacher, répondit Pierre, en parcourant du regard la pièce où il se trouvait, comme s’il craignait qu’une de ses paroles ne tombât dans quelque oreille indiscrète. Eh bien ! voici ce dont il s’agit : Vous avez entendu parler de l’Internationale ?

— Non, jamais !

— Voilà ce que c’est de vivre loin des soucis politiques ! Que vous êtes heureux ! L’Internationale est une association qui a pour but l’émancipation des travailleurs, le bonheur du peuple, la liberté pour tous, la république universelle. Votre patron est un de ses chefs.

— M. Pergous ! lui, un homme d’affaires !

— Et un savant ! Oh ! l’Internationale se recrute dans tous les rangs de la société. Auprès de modestes frères tels que moi, il s’y trouve des hommes célèbres, des écrivains illustres. Dans quelques années, elle s’étendra dans l’Europe entière. Son siège est en ce moment à Londres, et c’est parce qu’il a besoin de se rendre en Angleterre pour s’entendre avec le grand Conseil que M. Pergous demande de l’argent.

Si surpris qu’il fût de ces révélations, car il ne s’était jamais aperçu que son maître s’occupât de politique, et tout ému de la marque de confiance qui lui était donnée, Philidor ouvrit la caisse et y prit en tremblant quatre rouleaux de mille francs, qu’il laissa tomber dans la main crochue du bizarre envoyé.

— Avez-vous quelque communication à faire à ce cher M. Pergous ? demanda le bossu en faisant disparaître la somme avec une rapidité de prestidigitateur ; je m’en chargerai volontiers. Aussi bien que vous, je lui suis dévoué.

— Non, répondit le pauvre diable ; dites-lui seulement que j’exécute religieusement ses ordres, à l’égard des affaires, et que j’attends son retour avec impatience. Quand reviendra-t-il ?

— Je ne saurais vous fixer une date certaine. Son séjour plus ou moins long à Londres dépendra des événements ; il durera peut-être environ huit, dix ou quinze jours. Surtout, pas un mot à qui que ce soit ! Les circonstances sont graves ; la