Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/348

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ce qui ne l’empêchait pas de courir les bals et les cabarets à la mode, où son inexpérience et sa bonté étaient parfois exploitées par ses amis de fraîche date.

Néanmoins, tous les jours, sans exception, il venait voir la pseudo-comtesse vers les cinq ou six heures, et il la tenait au courant de tout ce qui se passait d’intéressant dans le monde qui lui était fermé désormais.

C’est par lui qu’elle avait eu confirmation de la nouvelle qu’elle devait à Pergous : le projet de mariage existant entre M. Raoul de Ferney et Mlle  Marthe de Bertout.

Le général de Bertout avait été pendant plusieurs années attaché militaire à Saint-Pétersbourg ; il s’était lié à cette époque avec le comte de Platen, et sa maison était une des premières où Romuald avait été reçu.

Mais, à l’étonnement de Mme  de Ferney, le jeune Russe, si causeur qu’il fût, ne s’étendait pas volontiers sur l’intérieur de la famille de Bertout. Aux questions qui lui étaient adressées à ce sujet, il ne répondait qu’avec une certaine réserve. Quant à la fiancée de Raoul de Ferney, il disait ne l’avoir aperçue que très rarement.

Jeanne ne fut pas longtemps sans avoir l’explication de cette conduite et, lorsqu’un de ses amis lui dit, sans attacher nulle importance à cette confidence, que le comte de Platen, tout en poursuivant son existence de viveur, était amoureux de Mlle  Marthe de Bertout, elle tressaillit et murmura :

— Je crois bien que, du côté du frère, le moment de ma vengeance approche !

Ce jour-là, quand Romuald vint la voir, ainsi que de coutume, avant son dîner, elle profita d’une seconde où il était seul auprès d’elle pour lui dire :

— Revenez ce soir à neuf heures ; j’ai à causer avec vous.

Quoiqu’il eût vainement cherché ce que la comtesse pouvait avoir à lui dire, le comte n’en fut pas moins exact au rendez-vous qu’elle lui avait donné.

— Asseyez-vous là, que je vous gronde, lui dit, de sa plus douce voix, Jeanne Reboul, en lui désignant un fauteuil auprès de sa chaise longue.

— Pourquoi me gronder ? demanda, tout ému, Romuald qui avait obéi.

— Parce que vous avez manqué de confiance en moi. Ah ! j’en sais de belles sur votre compte.

— Mon Dieu ! qu’est-ce donc ? Quelque folie bien excusable à mon âge.

— Oh ! il ne s’agit pas des parties que vous faites avec certains amis que vous pourriez mieux choisir, tels que MM. du Charmil et de Fressantel. Peu importe qu’ils vous empruntent de l’argent ! Lorsque vous les aurez suffisamment appréciés, vous cesserez de les voir et en serez quitte pour une centaine de mille francs ; mais vous êtes amoureux, ce qui est bien plus grave.

— Moi, amoureux !

— Oui, vous, amoureux, et d’une ravissante jeune fille du meilleur monde, Mlle  Marthe de Bertout.

M. de Platen avait rougi jusqu’au blanc des yeux.