Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/362

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Soit ! Laissez-moi vous dire cependant que si M. de Ferney s’est livré envers vous à un acte d’une inqualifiable grossièreté, c’est qu’il avait reçu ce billet anonyme.

Il tendait à M. de Platen la lettre de Jeanne.

Romuald hésitait à la prendre : il s’y décida enfin et, après avoir lu, s’écria :

— Ai-je besoin de vous affirmer sur l’honneur, messieurs, que je suis absolument étranger à la rédaction de ces lignes ?

— Oh ! nous en sommes convaincus.

— Et que jamais, pas plus à mon cercle qu’ailleurs, je n’ai prononcé les paroles qui sont rapportées là !

— Nous en étions certains, M. de Serville et moi.

— Malheureusement cela ne change rien à l’affaire ; je n’ai pas moins été insulté publiquement par M. de Ferney.

— Si M. de Ferney vous exprimait ses regrets ; s’il vous adressait des excuses ? Vous n’êtes tous deux que les instruments inconscients d’une misérable.

— La comtesse Iwacheff ?

— Cette femme est une infâme créature qui vous a lancé contre le fils de son premier mari, par esprit de vengeance. Peut-être êtes-vous fort habile tireur et le sait-elle ?

— Je ne me suis jamais battu et ma force à l’épée est médiocre.

— Alors elle a un autre but que celui de vous faire tuer M. de Ferney ! Qui sait si elle ne voudrait pas que ce fût lui qui vous tuât ?

— Pourquoi ? La comtesse Iwacheff était l’amie de mon père.

— Vous la connaissez peu. Les affections ne l’arrêtent jamais ; c’est une femme implacable, prête à tout sacrifier pour se venger. Si M. de Ferney vous tuait ou seulement vous blessait, est-ce que sa réputation d’honneur ne resterait pas entachée des suites de ce duel inégal, brutalement et injustement provoqué par lui ? Voyons, monsieur, vous êtes jeune, vous avez une mère, une sœur, une famille qui vous aime, un avenir brillant ; voulez-vous jouer toutes ces saintes affections et tout cet avenir sur un coup d’épée ? Je dois d’abord vous affirmer que M. de Ferney ignore notre démarche ; mais, s’il vous faisait des excuses ?

— Hélas ! monsieur, nous entrons là dans une discussion où je ne puis vous suivre. J’ai remis cette affaire entre les mains de mes témoins ; seuls, ils auraient le droit de vous écouter. Or, il est trop tard, puisque c’est demain matin que je dois rencontrer mon adversaire.

— Nous allons voir ces messieurs. Où pouvons-nous les trouver ?

— À l’heure du dîner, vers sept heures, au café Riche ; j’ai rendez-vous là avec eux.