Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/446

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— Vous m’en voulez peut-être aujourd’hui, mais vous me remercierez demain.

Armand ne répondit qu’en s’inclinant ; et, s’approchant de Fernande, qui tremblait, il porta doucement sa main à ses lèvres, en murmurant : « Pardon ! »

Et il sortit sans jeter un regard en arrière.

Moins d’une heure après, il recevait les lignes suivantes :


« Mon ami,

« Nous sommes moins forts et moins courageux que nous le pensions. Après ce qui vient de se passer entre nous, nous devons cesser de nous voir, au moins pendant quelque temps.

« Faites-moi ce sacrifice, si vous m’aimez comme je vous aime, si vous voulez que nous restions dignes tous deux de l’homme qui a eu foi en nous. »


Ces derniers mots rappelèrent M. de Serville à lui-même ; il comprit qu’il avait déjà trop manqué à ce qu’il devait à M. de Rennepont, à ce qu’il devait à son propre honneur, et, huit jours plus tard, lorsqu’il se présenta chez Fernande, ce ne fut, après avoir fait une allusion discrète à ce qui s’était passé, que pour lui jurer qu’il saurait rester désormais plus maître de lui.

La jeune femme, qui n’aurait peut-être pas résisté à la douleur que lui eût causée une rupture complète, tendit la main à son ami pour le remercier, et à partir de ce jour-là, bien que leur amour fût toujours aussi profond, ils n’eurent plus ensemble que des entretiens que le général lui-même aurait pu entendre.

Aussi, deux mois plus tard, lorsque M. de Rennepont rentra à Paris, fut-ce avec un légitime orgueil que celle qui portait son nom et son ami allèrent au-devant de lui et se jetèrent dans ses bras.

Le premier soin du général fut de remercier Armand de la protection qu’il avait donnée à Fernande, puis il le complimenta sur sa belle conduite pendant le siège, sans se douter que le peintre avait un bien autre sujet d’être fier de lui-même ; et lorsqu’ils se séparèrent après cette première entrevue, pendant laquelle M. de Serville avait eu le temps de juger combien la captivité et la douleur de nos désastres avaient changé le mari de Fernande, il se dit en s’éloignant :

— Dieu fait bien ce qu’il fait ; si j’avais trahi la confiance de ce vieillard, je n’aurais plus aujourd’hui qu’à me brûler la cervelle.

Au même instant, — intime union de ces deux âmes, — Fernande se réfugiait dans sa chambre pour cacher son émotion ; et, au souvenir de ce qui avait eu lieu, du danger qu’elle avait couru, elle se jetait à genoux pour remercier Dieu de l’avoir sauvée.

Le lendemain même, elle pria son mari de l’accompagner à l’hôtel Bibesco pour y visiter l’ambulance où elle avait donné ses soins aux blessés, et elle lui présenta le docteur Harris, ainsi que Marie Dutan.

Tout entière à ses amis, la jeune femme ne remarqua pas l’éclair qui jaillit des