Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/493

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marquis avec indifférence, en relevant les deux cartes que M. de Fressantel avait lancées de son côté.

Au même instant, l’amant de Sarah Bernier abattit huit.

— Moi, j’ai neuf, monsieur, riposta M. d’Almeida, en suivant le conseil du joueur qu’il avait consulté.

Et après avoir mis doucement ses cartes sur la table, il ramassa les cent soixante louis que le jeune baron avait poussés vers lui avec un certain mouvement de mauvaise humeur.

M. de Fressantel venait d’avoir le pressentiment que cet homme, qu’il avait provoqué, lui porterait malheur.

En effet, à partir de ce moment, il ne gagna plus un seul coup important, et quand, invité par la réunion tout entière, le marquis prit la main à son tour, ce fut pour passer cinq ou six fois et ruiner à moitié le baron, qui avait ponté sur lui avec une espèce de fureur.

Il perdit ainsi plus de quinze mille francs en moins d’une heure, et lorsque le jour commença à filtrer à travers les rideaux du salon, il mit convulsivement la main dans sa poche pour en tirer les deux mille francs qu’il y conservait en réserve.

Quoique ce fût absolument tout ce qui lui restait, il était décidé à les jouer en deux coups.

Lorsque la main lui revint, il partit de mille francs, passa cinq coups et, se voyant trente-deux mille francs devant lui, il ne put s’empêcher d’appeler son adversaire.

Celui-ci avait abandonné le baccara pour causer avec les femmes, qui, tout naturellement, en le voyant heureux au jeu, s’étaient empressées autour de lui.

— Parfaitement, monsieur, dit le marquis, banco !

— Des trente-deux mille francs ?

— Des trente-deux mille francs.

— Passe la main, Gaston, murmura rapidement à l’oreille de son ami du Charmil, qui avait quitté sa place.

— Jamais ! répondit M. de Fressantel, que l’amour-propre entraînait.

Il donna rapidement les cartes.

— Ah ! cette fois, vous ne me gagnerez peut-être pas, ajouta-t-il aussitôt ; j’ai encore huit.

— Et moi encore neuf, monsieur, riposta M. d’Almeida en abattant ses cartes.

M. de Fressantel sentit un éblouissement lui passer devant les yeux, et les invités de la Louve s’aperçurent si bien de son émotion qu’ils gardèrent le silence ; mais ce ne fut que pour un instant, car, au moment où le noble étranger mettait le dernier louis du baron dans sa poche, il s’éleva tout à coup dans le salon un cri général d’étonnement et de stupeur.