Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/500

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Après le départ, de son ami, M. de Fressantel était resté tout songeur. Louis, qui l’observait, se rapprocha de lui.

— Eh bien ! monsieur, dit le groom avec un mauvais sourire, ce n’est pas déjà si fâcheux ce qui se passe là. Les gens habiles en profiteront pour faire leurs affaires. C’est le vrai moment de porter votre lettre à Mme de Fressantel.

— Tu as raison, répondit le jeune homme en rougissant. Tiens, cours et reviens.

Le digne neveu des Méral ne se fit pas répéter cet ordre deux fois ; il s’empara du pli et disparut, pendant que son maître, le front dans les mains et la lèvre crispée, semblait lutter contre quelque mauvaise pensée qui venait de se glisser dans son esprit.

Du Charmil, d’ailleurs, n’avait dit que trop vrai. La tentative du gouvernement sur Montmartre s’était terminée par l’assassinat des généraux Lecomte et Clément Thomas, deux républicains de vieille date cependant !

Le 18 mars avait sonné !


X

Jeanne Reboul et son fils.



Bien qu’il eût paru assommé par le coup de bêche du domestique d’Armand de Serville, Pierre n’avait pas été aussi violemment atteint que le palefrenier avait pu le croire, et comme le forçat était un homme énergique, au lieu de perdre la tête, il s’était immédiatement rendu compte de sa situation.

Or, il était sans armes, car, en tombant, il avait perdu son couteau ; le peintre était resté debout, ce qui lui avait fait craindre de ne l’avoir blessé que légèrement, et Bernard lui avait semblé un gaillard solide avec lequel la lutte serait inégale.

Il s’était dit alors que le plus sage était de faire le mort, s’il ne voulait pas laisser échapper la seule chance qui lui restât de sortir de ce mauvais pas.

Il y tenait d’autant plus qu’à travers le voile de sang qui s’était étendu sur ses yeux, il avait parfaitement reconnu Louis, au moment où celui-ci s’était enfui par la fenêtre. Méral ne doutait donc pas que son digne neveu n’eût fait main basse sur les lettres, et il avait hâte de le rejoindre, d’abord pour partager avec lui le fruit de son vol, et ensuite pour lui administrer la correction qu’il lui promettait depuis si longtemps, correction à laquelle le jeune gredin avait maintenant doublement droit, puisqu’il n’était pas venu au secours de son excellent oncle.