Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/503

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— Je ne l’ai pas vu, répondit la Fismoise.

— Canaille ! Il a les lettres !

Et comme si ces mots, prononcés avec un accent de colère impossible à rendre, l’eussent achevé, Pierre perdit connaissance de nouveau.

Pendant ce temps-là, Louis dormait du sommeil de l’innocence.

Toujours en fredonnant la chanson de bord qu’il avait entonnée à dix pas de l’hôtel de maître Pétrus, il avait traversé tout Paris et rejoint son garni du boulevard Clichy. Là, après avoir précieusement glissé sous son traversin la correspondance de Mme  de Rennepont, il s’était couché aussi content de sa journée que l’était jadis Titus lorsqu’il avait fait une bonne action ; puis, murmurant philosophiquement : « Demain il fera jour », il s’était endormi.

À son réveil, il avait commencé par faire disparaître son costume de matelot ; ensuite il s’était de nouveau revêtu de sa livrée pour se présenter chez Sarah Bernier.

Inutile d’ajouter que l’excellent neveu de la Fismoise n’avait pas songé un seul instant à aller rendre compte à sa tante du résultat de son expédition.

Il s’était dit que son bon oncle Pierre n’avait plus besoin de partager avec lui la somme promise par la comédienne, puisqu’il était mort ou prisonnier, et que la brocanteuse était assez riche pour lui laisser en entier le profit de cette opération qu’il avait menée si habilement.

Quant à Sarah, épouvantée de la part de responsabilité qui pourrait lui être attribuée dans l’assassinat de son ancien amant, si la justice parvenait à voir clair dans cette affaire, elle était bien rentrée chez elle en sortant de l’hôtel de la Louve, mais elle n’avait pu trouver un instant de repos.

Dès qu’elle fermait les yeux, il lui semblait qu’Armand de Serville allait apparaître pour lui reprocher son infamie. Le moindre bruit la faisait tressaillir. Aussi étouffa-t-elle un cri de terreur lorsque, vers dix heures du matin, le timbre de sa porte retentit bruyamment.

Sa femme de chambre la trouva assise sur son lit, les yeux hagards, les lèvres tremblantes, le front inondé d’une sueur glacée.

En entendant sa domestique lui annoncer que ce visiteur matinal était le valet de chambre de M. de Fressantel, Sarah comprit que ce domestique devait être Louis et donna l’ordre de l’introduire immédiatement.

Le jeune gredin, qui se doutait de l’impatience avec laquelle l’actrice devait l’attendre, bien qu’il ignorât qu’elle fût au courant de tous les détails de son expédition, était sur les talons de la camériste.

Celle-ci n’eut donc qu’à s’effacer pour lui livrer passage ; et, sur un signe de sa maîtresse, elle sortit.

— Qu’avez-vous donc fait, malheureux ? dit aussitôt l’amie de la Louve. Un assassinat !