Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/533

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Tout entier à son exaltation, M. de Serville n’avait pas vu que, pendant ce récit, Marie était devenue fort pâle, et que le médecin, après avoir tracé quelques lignes sur une feuille arrachée de son carnet, avait mis ce billet sous enveloppe, puis l’avait donné à un domestique avec ordre de le porter à son adresse.

Marie Dutan, on se le rappelle, soupçonnait depuis longtemps Harris de ne pas être étranger au mystérieux et sanglant événement dont l’hôtel de la rue d’Assas avait été le théâtre dans la nuit du 17 au 18 mars ; et, sans qu’il s’en fût aperçu, elle ne l’avait pas quitté des yeux pendant le récit du peintre.

Or, malgré le masque impénétrable dont le pseudo-Américain avait l’habitude de se couvrir le visage, quelque empire qu’il eût sur lui-même, il avait paru inquiet et troublé, et lorsqu’il remit à un serviteur, avec ordre de le porter sans retard, le billet qu’il avait si rapidement écrit, la jeune fille se demanda si ces lignes ne concernaient pas l’ami de Mme de Rennepont.

Elle se promit alors d’exiger de Harris, dès qu’elle serait seule avec lui, l’explication devant laquelle elle avait reculé jusqu’ici, et, pour que cette explication pût avoir lieu le plus tôt possible, elle ne retint pas Armand, mais l’engagea, au contraire, à aller trouver immédiatement M. de Fressantel, quoiqu’elle comprît combien cette démarche devait lui coûter.

— Oui, vous avez raison, répondit l’artiste, je dois vaincre mes répugnances et ne rien négliger. Je vais m’informer de l’adresse de M. de Fressantel, et je me rendrai chez lui aujourd’hui même. Merci de vos bonnes paroles, car il me semble que, moi aussi, je perds la raison !

En prononçant ces mots, le malheureux pressait les mains de Marie, dont le regard affectueux semblait lui dire : Courage et espoir.

Quant au docteur Harris, il paraissait si vivement préoccupé qu’il répondit à peine au salut que lui adressa M. de Serville en partant, et il allait sortir lui-même du salon où s’était passée cette scène lorsque la jeune ambulancière l’arrêta par le bras, en lui disant d’une voix ferme et les yeux dans les yeux :

— Docteur, pourquoi haïssez-vous M. Armand de Serville ?

— Vous êtes folle, mademoiselle ! répondit l’étranger en rougissant, et je me demande avec stupéfaction ce qui a pu vous suggérer une semblable pensée. J’ai sauvé la vie à M. de Serville et je le tiens pour un parfait galant homme.

Le médecin avait dit cela d’un ton si naturel que Marie hésita un instant à continuer, bien que son cœur lui affirmât qu’elle était dans le vrai ; mais au moment où peut-être elle allait s’excuser de son étrange question, elle surprit, dans une glace, le froncement de sourcils de son interlocuteur. Elle fut, dès lors, convaincue qu’il mentait.

— Tenez, docteur, reprit-elle aussitôt, en lui barrant de nouveau le passage, jouons cartes sur table : je suis certaine que mes pressentiments ne me trompent pas. Vous n’êtes pas étranger au vol des lettres de Mme de Rennepont.

— Moi ! s’écria Harris, moi !