Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/560

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Ravi de cette réponse, qui était pour lui une sorte de déclaration, l’amoureux disparut dans la boutique.

Restée seule, Marie fit appel à tout son courage.

Elle ne se dissimulait pas qu’elle allait jouer gros jeu, mais, de son cœur, les noms d’Armand et de Mme de Rennepont lui montèrent aux lèvres, et lorsque Pierre revint, il la trouva souriante.

Le monstre était chargé de vivres et de bouteilles. Elle prit son bras et l’entraîna vers l’hôtel où Philidor les attendait.

Parvenue sur le seuil du bouge, elle entra résolument et, disant à son odieux compagnon de la suivre, elle gravit l’escalier comme s’il lui était familier.

Arrivée au premier, elle se dirigea vers la chambre dont, quelques instants auparavant, elle avait laissé la porte entr’ouverte. Elle y entra, alluma la bougie qui était sur la cheminée et, après avoir introduit Pierre, poussa le verrou derrière lui.

L’endroit où la courageuse jeune fille s’enfermait en si bonne compagnie était une de ces chambres à demi meublées, comme on en trouve dans ces hôtels sordides où on loge à la nuit. Un lit, un mauvais canapé, appuyé justement sur la porte de communication avec la chambre voisine, un lavabo, une commode et, au milieu, un guéridon recouvert d’un tapis jadis rouge. À la croisée, un rideau de damas effrangé.

Mlle Dutan ne fît pas même attention à cette misère. Quant à Méral, il était superbe de fatuité. Cette chambre lui semblait un paradis. L’horrible personnage qui, nous le savons, avait toujours eu des prétentions au rôle de Lovelace, ne doutait pas qu’il eût séduit la jolie cantinière, et il ne songeait qu’à être digne de sa bonne fortune.

Il avait commencé par se débarrasser de ses victuailles et de ses bouteilles pour les aligner triomphalement sur la table.

Au même instant, un bruit de chaises dans la pièce d’à côté avertit Marie que Philidor était à son poste.

— Tiens, nous avons des voisins ! dit-elle. Parlons bas alors.

Pierre, qui s’était approché d’elle, l’avait prise galamment par la taille.

— Oh ! pas si vite, fit-elle en le repoussant doucement et en riant. Mangeons d’abord ; je meurs de faim.

— Et moi d’amour, soupira le forçat.

— Nous causerons de cela plus tard ! En attendant, soyez sage, gros farceur ! Tenez, asseyez-vous là sur le divan, en face de moi, et faites les honneurs.

Elle avait pris sur la commode des verres et des assiettes et les avait posés sur la table.

Au comble de la joie, car le ton et les façons de faire de sa conquête lui permettaient de tout espérer, le monstre s’assit à la place que sa compagne lui avait désignée.

Renversé sur le divan, il la dévorait des yeux. Son visage avait une expression hideuse de brutale lubricité. Bien qu’elle se sût à l’abri de tout outrage, Marie avait besoin d’en appeler à son énergie pour dissimuler son trouble.