Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/569

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— Je lui dirai que je suis son fils, elle saura bien me cacher !

Il n’y avait pas une seconde à perdre ; il entendait les soldats qui arrivaient au pas de course.

Au moment où il pénétrait dans cette même pièce, où, quelques semaines auparavant, il avait remis à la comtesse les lettres de Mme  de Rennepont, la porte de l’hôtel résonnait déjà sous les coups de crosse des fusils.

— Ma mère ! s’écria le malheureux en se précipitant vers la sœur de la Fismoise qu’il avait immédiatement reconnue, bien qu’elle fût étrangement changée et couchée sur une chaise longue à peu près dans l’ombre ; ma mère, sauvez-moi !

— Au secours ! gémit Jeanne Reboul, brusquement tirée de son demi-sommeil ; à l’assassin, au voleur !

Elle avait saisi le cordon d’une sonnette et s’y tenait cramponnée.

À son appel, sa femme de chambre et un de ses domestiques étaient accourus.

— Vous vous trompez, vous vous trompez ! répétait Louis avec épouvante ; c’est la tante Fismoise qui m’envoie ; je suis l’enfant que vous lui avez confié tout petit. Je suis votre fils ; grâce ! ne me perdez pas !

Mais, affolée, l’ex-madame de Ferney ne comprenait pas.

Réfugiée entre ses deux serviteurs, elle ne cessait de crier d’une voix aiguë :

— Au secours ! Il veut m’assassiner ! Je n’ai plus rien ! Pierre m’a tout pris ! Au voleur ! C’est lui qui a les lettres !

Au même instant, dix hommes apparurent sur le seuil du boudoir où se passait cette horrible scène, et la Louve les accueillit par un éclat de joie sinistre, en répétant :

— Arrêtez l’assassin ! arrêtez-le ! Il a tué Sarah !

Louis comprit qu’il n’avait plus rien à espérer. Deux des soldats s’étaient élancés sur lui, avaient ouvert sa blouse et découvert son uniforme.

Le sous-officier qui les commandait leur avait aussitôt donné un ordre, et le jeune misérable, aveuglé par l’épouvante, s’était senti entraîné jusqu’au rez-de-chaussée et, de là, dans la cour, où on l’avait jeté contre le mur de la remise.

Il n’avait pas même essayé de résister, lorsqu’en levant les yeux, comme pour demander au ciel aide et protection, il aperçut la maîtresse de la maison, qui, de la fenêtre de sa chambre où elle s’était traînée échevelée, hurlait à tue-tête :

— Pas de pitié, c’est un voleur ! tuez-le ! tuez-le donc, l’assassin !

— Ma mère, ma mère ! bégaya-t-il en tendant les bras vers celle qui demandait sa mort.

Mais comme si les soldats n’avaient attendu que cet ordre, dix fusils s’abaissèrent, dix coups de feu retentirent, et Louis tomba la face contre terre, baigné dans son sang.

La Louve répondit d’abord à ces détonations par un cri de joie sauvage ; mais, tout à coup, son visage prit une inexprimable expression d’horreur, et, s’échappant des mains de sa femme de chambre, elle franchit l’escalier, traversa la cour et vint tomber à genoux auprès du cadavre dont elle attira sur son sein la tête mutilée.

Elle le regarda quelques secondes en s’efforçant d’en étancher le sang avec son peignoir de dentelles, puis, soudain, un torrent de larmes jaillit de ses yeux hagards,