Page:Renan – Patrice, 1908.djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

naïf encore, et l’homme calme ne pourra s’empêcher de sourire, comme l’homme sobre passant près de l’homme ivre, car il y a dans cette ivresse une illusion nécessaire : il est obligé de croire éternel ce qui est plus fugitif que la pensée ; s’il réfléchissait, s’il tirait une induction pour lui de la loi universelle, il serait plus dans le vrai, mais il cesserait d’aimer. Ainsi ne pas trop voir est la condition nécessaire de l’exercice énergique des facultés humaines : l’homme trop savant devient impuissant. Mais si c’est là un mal, c’est un mal incurable : le seul remède serait de n’avoir pas pensé.

» Tel est mon sort. Le développement normal de la nature humaine n’est que dans un certain milieu : cette délicate machine ne doit être ni trop maniée, ni tourmentée ; je l’ai forcée, comme une montre qu’on dérange en la faisant aller