Page:Renan - De la part des peuples sémitiques dans l’histoire de la civilisation.djvu/6

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ment de cette respectable tradition. Que deviendront les études sérieuses si elles n’ont au Collége de France un sanctuaire inviolable ? Que deviendra la haute culture de l’esprit humain, si les expositions générales, seules admises en présence d’un public nombreux, étouffaient les enseignements d’une forme plus sévère, dans un établissement surtout qui est destiné à continuer l’école des grands travaux scientifiques ? Je serais tout à fait coupable, si on pouvait m’accuser dans l’avenir d’avoir contribué à un tel changement. Le progrès de la science est compromis si nous ne revenons aux longues réflexions, si chacun croit remplir les devoirs de la vie en ayant à l’aveugle sur toutes choses les opinions d’un parti ; si la légèreté, les opinions exclusives, les façons tranchantes et péremptoires viennent supprimer les problèmes au lieu de les résoudre. Oh ! que les pères de l’esprit moderne comprenaient mieux la sainteté de la pensée ! Grandes et vénérables figures des Reuchlin, des Henri Estienne, des Casaubon, des Descartes, levez-vous pour nous apprendre quel prix vous faisiez de la vérité, par quels labeurs vous saviez l’atteindre, ce que vous souffrîtes pour elle. Ce sont des spéculations comprises de vingt personnes au dix-septième siècle qui ont changé de fond en comble les idées des nations civilisées sur l’univers ; ce sont les travaux obscurs de quelques pauvres érudits du seizième siècle qui ont fondé la critique historique et préparé une totale révolution dans les idées sur le passé de l’humanité. J’ai fait une trop sensible expérience de l’intelligente pénétration du public, pour ne pas être assuré que tous ceux qui m’ont appuyé hier m’approuveront de suivre cette voie, la plus profitable assurément pour la science et la bonne discipline de l’esprit.


23 février 1862.