Page:Renan - Ecclesiaste - Arlea.djvu/73

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mistes et sceptiques sous le couvert de Salomon, il y tient fort peu. Il se trahit à chaque instant. Le personnage qu’il fait parler s’explique d’abord, en effet, d’une manière qui convient bien au fils de David. Puis l’auteur laisse là une fiction qui l’eût entraîné à des redites fatigantes et ennuyeuses. A partir du chapitre IV à peu près, il oublie qu’il a mis en scène Salomon ; il cesse de prendre sa fable au sérieux. C’est bien lui qui parle pour son propre compte quand il nous raconte les malheurs qu’il a eus avec les femmes, les tristesses de sa vie solitaire, les peines qu’il s’est données pour faire fortune, les préoccupations qui l’obsèdent en ce qui touche ses héritiers. Infidèle à son propos, il s’exprime désormais comme ce qu’il est, c’est-à-dire comme un homme d’affaire juif, très préoccupé de ses placements et de ce que deviendra sa fortune après lui. Quelques développements sont absolument déplacés ou même dénués de sens dans la bouche d’un souverain. De telles libertés de composition sont fréquentes aussi dans Le Livre de Job. Ces grandes et belles œuvres antiques se mettent au-dessus de nos chétifs soucis classiques de vraisemblance. Les personnages sont médiocrement constants avec eux-mêmes. La préoccupation de la destinée humaine est si grande chez ces fortes âmes que les mesquines attentions d’unité et de composition littéraire sortent vite de leur esprit. Leur fiction n’est pour eux qu’un jeu, qu’un prétexte.

Au lieu de désigner Salomon par son nom, l’auteur, conformément à un certain goût du mystère qu’affectent les écrivains parabolistes, le désigne par les