Page:Renan - Jesus, Levy, 1864.djvu/183

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saurait douter. Une telle idée était profondément étrangère à l’esprit juif ; il n’y en a nulle trace dans les trois premiers évangiles ; on ne la trouve indiquée que dans certaines parties de l’évangile de Jean, lesquelles ne peuvent être acceptées comme un écho de la pensée de Jésus. Parfois même Jésus semble prendre des précautions pour repousser une telle doctrine. L’accusation de se faire Dieu ou l’égal de Dieu est présentée, même dans l’évangile de Jean, comme une calomnie des Juifs. Dans ce dernier évangile, il se déclare moindre que son Père. Ailleurs, il avoue que le Père ne lui a pas tout révélé. Il se croit plus qu’un homme ordinaire, mais séparé de Dieu par une distance infinie. Il est fils de Dieu ; mais tous les hommes le sont ou peuvent le devenir à des degrés divers. Tous, chaque jour, doivent appeler Dieu leur père ; tous les ressuscités seront fils de Dieu. La filiation divine était attribuée dans l’Ancien Testament à des êtres qu’on ne prétendait nullement égaler à Dieu. Le mot « fils » a, dans la langue du Nouveau Testament, les sens les plus larges. D’ailleurs, l’idée que Jésus se fait de l’homme n’est pas cette idée humble, qu’un froid déisme a introduite. Dans sa poétique conception de la nature, un seul souffle pénètre l’univers : le souffle de l’homme est celui de Dieu ; Dieu habite en l’homme, vit par l’homme, de même que l’homme habite en Dieu, vit par Dieu. L’idéalisme transcendant de Jésus ne lui permit jamais d’avoir une notion bien claire de sa