Page:Renan - Jesus, Levy, 1864.djvu/196

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’écorce grossière de la bulbe sacrée dont nous vivons. Ce fantastique royaume du ciel, cette poursuite sans fin d’une cité de Dieu, qui a toujours préoccupé le christianisme dans sa longue carrière, a été le principe du grand instinct d’avenir qui a animé tous les réformateurs, disciples obstinés de l’Apocalypse, depuis Joachim de Flore jusqu’au sectaire protestant de nos jours. Cet effort impuissant pour fonder une société parfaite a été la source de la tension extraordinaire qui a toujours fait du vrai chrétien un athlète en lutte contre le présent. La première fois qu’on annonça à l’humanité que sa planète allait finir, comme l’enfant qui accueille la mort avec un sourire, elle éprouva le plus vif accès de joie qu’elle eût jamais ressenti. En vieillissant, le monde finit par s’attacher à la vie. Le jour de grâce, si longtemps attendu par les âmes pures de Galilée, devint pour les siècles de fer du moyen âge un jour de colère : Dies iræ, dies illa ! Mais, au sein même de la barbarie, l’idée du royaume de Dieu resta féconde. Malgré l’Église féodale, des sectes, des ordres religieux, de saints personnages continuèrent de protester, au nom de l’Évangile, contre l’iniquité du monde. De nos jours même, jours troublés où Jésus n’a pas de plus authentiques continuateurs que ceux qui semblent le répudier, les rêves d’organisation idéale de la société, qui ont tant d’analogie avec les aspirations des sectes chrétiennes primitives, ne sont en un sens que l’épanouissement de la même idée, une des branches