Page:Renan - Jesus, Levy, 1864.djvu/248

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maître. Vers la fin du repas, le secret qui pesait sur le cœur de Jésus faillit lui échapper. « En vérité, dit-il, je vous le dis, un de vous me trahira. » Ce fut pour ces hommes naïfs un moment d’angoisse ; ils se regardèrent les uns les autres, et chacun s’interrogea. Juda était présent ; peut-être Jésus, qui avait depuis quelque temps des raisons de se défier de lui, chercha-t-il par ce mot à tirer de ses regards ou de son maintien embarrassé l’aveu de sa faute. Mais le disciple infidèle ne perdit pas contenance ; il osa même, dit-on, demander comme les autres : « Serait-ce moi, rabbi ? »

Cependant, l’âme droite et bonne de Pierre était à la torture. Il fit signe à Jean de tâcher de savoir de qui le maître parlait. Jean, qui pouvait converser avec Jésus sans être entendu, lui demanda le mot de cette énigme. Jésus, n’ayant que des soupçons, ne voulut prononcer aucun nom ; il dit seulement à Jean de bien remarquer celui à qui il allait offrir du pain trempé. En même temps, il trempa le pain et l’offrit à Juda : Jean et Pierre seuls eurent connaissance du fait. Jésus adressa à Juda quelques paroles qui renfermaient un sanglant reproche, mais ne furent pas comprises des assistants. On crut que Jésus lui donnait des ordres pour la fête du lendemain, et il sortit.

Sur le moment, ce repas ne frappa personne, et, à part les appréhensions dont le maître fit la confidence à ses disciples, qui ne comprirent qu’à demi, il ne s’y