Page:Renan - Jesus, Levy, 1864.djvu/273

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ses regards, Jésus n’avait devant lui que le spectacle de la bassesse humaine ou de sa stupidité. Les passants l’insultaient. Il entendait autour de lui de sottes railleries et ses cris suprêmes de douleur tournés en odieux jeux de mots. « Ah ! le voilà, disait-on, celui qui s’est appelé Fils de Dieu ! Que son père, s’il veut, vienne maintenant le délivrer ! — Il a sauvé les autres, murmurait-on encore, et il ne peut se sauver lui-même. S’il est roi d’Israël, qu’il descende de la croix, et nous croyons en lui ! — Eh bien, disait un troisième, toi qui détruis le temple de Dieu, et le rebâtis en trois jours, sauve-toi, voyons ! » — Quelques-uns, vaguement au courant de ses idées apocalyptiques, crurent l’entendre appeler Élie, et dirent : « Voyons si Élie viendra le délivrer. » Il paraît que les deux voleurs crucifiés à ses côtés l’insultaient aussi. Le ciel était sombre ; la terre, comme dans tous les environs de Jérusalem, sèche et morne. Un moment, selon certains récits, le cœur lui défaillit ; un nuage lui cacha la face de son Père ; il eut une agonie de désespoir, plus cuisante mille fois que tous les tourments. Il ne vit que l’ingratitude des hommes ; il se repentit peut-être de souffrir pour une race vile, et il s’écria : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Mais son instinct divin l’emporta encore. A mesure que la vie du corps s’éteignait, son âme se rassérénait et revenait peu à peu à sa céleste origine. Il retrouva le sentiment de sa mission ; il vit dans