Page:Renan - Jesus, Levy, 1864.djvu/78

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en son âpre solitude du Carmel, partageant la vie des bêtes sauvages, demeurant dans le creux des rochers, d’où il sortait comme un foudre pour faire et défaire les rois, était devenu, par des transformations successives, une sorte d’être surhumain, tantôt visible, tantôt invisible, et qui n’avait pas goûté la mort. On croyait généralement qu’Élie allait revenir et restaurer Israël. La vie austère qu’il avait menée, les souvenirs terribles qu’il avait laissés, et sous l’impression desquels l’Orient vit encore, cette sombre image qui, jusqu’à nos jours, fait trembler et tue, toute cette mythologie, pleine de vengeance et de terreurs, frappaient vivement les esprits et marquaient, en quelque sorte, d’un signe de naissance tous les enfantements populaires. Quiconque aspirait à une grande action sur le peuple devait imiter Élie, et, comme la vie solitaire avait été le trait essentiel de ce prophète, on s’habitua à envisager « l’homme de Dieu » comme un ermite. On s’imagina que tous les saints personnages avaient eu leurs jours de pénitence, de vie agreste, d’austérités. La retraite au désert devint ainsi la condition et le prélude des hautes destinées.

Nul doute que cette pensée d’imitation n’ait beaucoup préoccupé Jean. La vie anachorétique, si opposée à l’esprit de l’ancien peuple juif, faisait de toutes parts invasion en Judée. Les esséniens ou thérapeutes étaient groupés près du pays de Jean, sur les bords orientaux de la mer Morte. On s’imaginait que les chefs de secte