Page:Renan - Jesus, Levy, 1864.djvu/92

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César pour ne pas scandaliser. La liberté et le droit ne sont pas de ce monde ; pourquoi troubler sa vie par de vaines susceptibilités ? Méprisant la terre, convaincu que le monde présent ne mérite pas qu’on s’en soucie, il se réfugiait dans son royaume idéal ; il fondait cette grande doctrine du dédain transcendant, vraie doctrine de la liberté des âmes, qui seule donne la paix. Mais il n’avait pas dit encore : « Mon royaume n’est pas de ce monde. » Bien des ténèbres se mêlaient à ses vues les plus droites. Parfois des tentations étranges traversaient son esprit. Dans le désert de Judée, Satan lui avait proposé les royaumes de la terre. Ne connaissant pas la force de l’empire romain, il pouvait, avec le fond d’enthousiasme qu’il y avait en Judée et qui aboutit bientôt après à une si terrible résistance militaire, il pouvait, dis-je, espérer de fonder un royaume par l’audace et le nombre de ses partisans. Plusieurs fois peut-être se posa pour lui la question suprême : Le royaume de Dieu se réalisera-t-il par la force ou par la douceur, par la révolte ou par la patience ? Un jour, dit-on, les simples gens de Galilée voulurent l’enlever et le faire roi. Jésus s’enfuit dans la montagne et y resta quelque temps seul. Sa belle nature le préserva de l’erreur qui eût fait de lui un agitateur ou un chef de rebelles, un Theudas ou un Barkokeba.

La révolution qu’il voulut faire fut toujours une révolution morale ; mais il n’en était pas encore arrivé à