Page:Renan - Jesus, Levy, 1864.djvu/97

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suppressions timides qui en retranchent justement ce qui l’a rendue efficace pour la régénération de l’humanité.

Au fond, l’idéal est toujours une utopie. Quand nous voulons aujourd’hui représenter le Christ de la conscience moderne, le consolateur, le juge des temps nouveaux, que faisons-nous ? Ce que fit Jésus lui-même il y a 1830 ans. Nous supposons les conditions du monde réel tout autres qu’elles ne sont ; nous représentons un libérateur moral brisant sans armes les fers du nègre, améliorant la condition du prolétaire, délivrant les nations opprimées. Nous oublions que cela suppose le monde renversé. La « réforme de toutes choses » voulue par Jésus n’était pas plus difficile. Cette terre nouvelle, ce ciel nouveau, cette Jérusalem nouvelle qui descend du ciel, ce cri : « Voilà que je refais tout à neuf ! » sont les traits communs des réformateurs. Toujours le contraste de l’idéal avec la triste réalité produira dans l’humanité ces révoltes contre la froide raison que les esprits médiocres taxent de folie, jusqu’au jour où elles triomphent et où ceux qui les ont combattues sont les premiers à en reconnaître la haute raison.

Ce qui distingue, en effet, Jésus des agitateurs de son temps et de ceux de tous les siècles, c’est son parfait idéalisme. Jésus, à quelques égards, est un anarchiste, car il n’a aucune idée du gouvernement civil. Ce gouvernement lui semble purement et simplement