Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/10

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j’écoulerais en détail le stock d’idées qui, présenté en masse compacte, ne manquerait pas d’effrayer les lecteurs. La hardiesse des théories serait ainsi moins choquante. Les gens du monde acceptent souvent en détail ce qu’ils refusent d’avaler en bloc.

M. de Sacy, peu de temps après, m’encouragea dans la même voie. Le vieux janséniste s’apercevait bien de mes hérésies ; quand je lui lisais mes articles, je le voyais sourire à chaque phrase câline ou respectueuse. Certes le gros livre d’où tout cela venait, avec sa pesanteur et ses allures médiocrement littéraires, ne lui eût inspiré que de l’horreur. Il était clair que, si je voulais avoir quelque audience des gens cultivés, il fallait laisser beaucoup de mon bagage à la porte. La pensée se présente à moi d’une manière complexe ; la forme claire ne me vient qu’après un travail analogue à celui du jardinier qui taille son arbre, l’émonde, le dresse en espalier.

Ainsi je débitai en détail le gros volume que de bonnes inspirations et de sages conseils m’avaient fait reléguer au fond de mes tiroirs. Le coup d’État, qui vint peu après, acheva de me rattacher à la Revue des Deux Mondes et au Journal des Débats, en me dégoûtant du peuple, que j’avais vu, le 2 Décembre, accueillir d’un air narquois les signes de deuil