Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/100

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sous la domination romaine, alors qu’elle est le berceau du christianisme ? Tant il est vrai que le mot de décadence n’a de sens qu’au point de vue étroit de la politique et des nationalités, non au grand et large point de vue de l’œuvre humanitaire. Quand des races s’atrophient, l’humanité a des réserves de forces vives pour suppléer à ces défaillances. Que si l’on pouvait craindre que l’humanité, ayant épuisé ses réserves, n’éprouvât un jour le sort de chaque nation en particulier, et ne fût condamnée à la décadence, je répondrai qu’avant cette époque l’humanité sera sans doute devenue plus forte que toutes les causes destructives. Dans l’état actuel, une extrême critique est une cause d’affaiblissement physique et moral dans l’état normal, la science sera mère de la force. La science n’étant guère apparue jusqu’ici que sous la forme critique, on ne conçoit pas qu’elle puisse devenir un mobile puissant d’action. Cela sera pourtant, du moment où elle aura créé dans le monde moral une conviction égale à celle que produisait jadis la foi religieuse. Tous les arguments tirés du passé pour prouver l’impuissance de la philosophie ne prouvent rien pour l’avenir ; car le passé n’a été qu’une introduction nécessaire à la grande ère de la raison. La réflexion ne s’est point encore montrée créatrice. Attendez ! Attendez !…

Plusieurs en lisant ce livre s’étonneront peut-être de mes fréquents appels à l’avenir. C’est qu’en effet je suis persuadé que la plupart des arguments que l’on allègue pour faire l’apologie de la science et de la civilisation modernes, envisagées en elles-mêmes, et sans tenir compte de l’état ultérieur qu’elles auront contribué à amener, sont très fautifs et prêtent le flanc aux attaques des écoles rétrogrades. Il n’y a qu’un moyen de comprendre et de justifier