Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/108

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condition matérielle est la condition de l’amélioration intellectuelle et morale, et ce progrès comme tous les autres devra s’opérer par un travail spécial : quand l’humanité fait une chose, elle n’en fait pas une autre. Il est évident qu’un homme qui n’a pas le nécessaire, ou est obligé pour se le procurer de se livrer à un travail mécanique de tous les instants, est forcément condamné à la dépression et à la nullité. Le plus grand service à rendre à l’esprit humain, au moment où nous sommes, ce serait de trouver un procédé pour procurer à tous l’aisance matérielle. L’esprit humain ne sera réellement libre, que quand il sera parfaitement affranchi de ces nécessites matérielles qui l’humilient et l’arrêtent dans son développement. De telles améliorations n’ont aucune valeur idéale en elles-mêmes ; mais elles sont la condition de la dignité humaine et du perfectionnement de l’individu. Ce long travail par lequel la classe bourgeoise s’est enrichie durant tout le moyen âge est en apparence quelque chose d’assez profane. On cesse de l’envisager ainsi quand on songe que toute la civilisation moderne, qui est l’œuvre de la bourgeoisie, eût été sans cela impossible. La sécularisation de la science ne pouvait s’opérer que par une classe indépendante et par conséquent aisée. Si la population des villes fut restée pauvre ou attachée à un travail sans relâche, comme le paysan, la science serait encore aujourd’hui le monopole de la classe sacerdotale. Tout ce qui sert au progrès de l’humanité, quelque humble et profane qu’il puisse paraître, est par le fait respectable et sacré.

Il est singulier que les deux classes qui se partagent aujourd’hui la société française se jettent réciproquement l’accusation de matérialisme. La franchise oblige à dire