Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/127

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qu’on envisage chaque développement de l’histoire philosophique en lui-même, et non au point de vue de l’humanité. Tous les états que traverse l’humanité sont fautifs et attaquables. Chaque siècle court vers l’avenir, en portant dans le flanc son objection comme le fer dans la plaie. La ruine des croyances anciennes et la formation des croyances nouvelles ne se fait pas toujours dans l’ordre le plus désirable. La science détruit souvent une croyance alors qu’elle est encore nécessaire. En supposant qu’un jour vienne où l’humanité n’aura plus besoin de croire à l’immortalité, quelles angoisses la destruction prématurée de cette foi consolante n’aura pas causées aux infortunés sacrifiés au destin durant notre âge de douleur. Dans la constitution définitive de l’humanité, la science sera le bonheur ; mais, dans l’état imparfait que nous traversons, il peut être dangereux de savoir trop tôt.

Ma conviction intime est que la religion de l’avenir sera le pur humanisme, c’est-à-dire le culte de tout ce qui est de l’homme, la vie entière sanctifiée et élevée à une valeur morale. Soigner sa belle humanité (43) sera alors la Loi et les Prophètes, et cela, sans aucune forme particulière, sans aucune limite qui rappelle la secte et la confraternité exclusive. Le trait général des œuvres religieuses est d’être particulières, c’est-à-dire d’avoir besoin, pour être comprises, d’un sens spécial que tout le monde n’a pas : croyances à part, sentiments à part, style à part, figures à part. Les œuvres religieuses sont pour les adeptes ; il y a pour elles des profanes. C’est assurément un admirable génie que saint Paul ; et pourtant, sont-ce les grands instincts de la nature humaine pris dans leur forme la plus générale qui font la beauté de ses lettres, comme ils font la beauté des dialogues de Platon, par exemple ? Non.