Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/13

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à ne dire qu’une partie de ce qu’on pense et nuisent à la profondeur, me semblaient une tyrannie. Le français ne veut exprimer que des choses claires ; or les lois les plus importantes, celles qui tiennent aux transformations de la vie, ne sont pas claires ; on les voit dans une sorte de demi-jour. C’est ainsi qu’après avoir aperçu la première les vérités de ce qu’on appelle maintenant le darwinisme, la France a été la dernière à s’y rallier. On voyait bien tout cela ; mais cela sortait des habitudes ordinaires de la langue et du moule des phrases bien faites. La France a ainsi passé à côté de précieuses vérités, non sans les voir, mais en les jetant au panier, comme inutiles ou impossibles à exprimer. Dans ma première manière, je voulais tout dire, et souvent je le disais mal. La nuance fugitive, que le vieux français regardait comme une quantité négligeable, j’essayais de la fixer, au risque de tomber dans l’insaisissable.

Autant, sous le rapport de l’exposition, j’ai modifié, à tort ou à raison, mes habitudes de style, autant, pour les idées fondamentales, j’ai peu varié depuis que je commençai de penser librement. Ma religion, c’est toujours le progrès de la raison, c’est-à-dire de la science. Mais souvent, en relisant ces pages juvéniles, j’ai trouvé une confusion qui fausse