Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/144

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qui n’entend rien aux sciences et sait tout sans avoir jamais rien appris. « Ce ne sont ici, dit-il, que resveries d’homme qui n’a gousté des sciences que la crouste première en son enfance, et n’en a retenu qu’un général et informe visage : un peu de chaque chose, et rien du tout, à la Françoise. Car, en somme, je sçay qu’il y a une médecine, une jurisprudence, quatre parties en la mathématique, et grossièrement ce à quoy elles visent. Et à l’adventure encore sçay-je la prétention des sciences en général, au service de nostre vie mais d’y enfoncer plus avant, de m’estre rongé les ongles à l’estude d’Aristote, monarque de la doctrine moderne, ou opiniastré après quelque science, je ne l’ay jamais faict : ny n’est art de quoy je puisse peindre seulement les premiers linéaments. Et n’est enfant des classes moyennes, qui ne se puisse dire plus savant que moy qui n’ay seulement pas de quoy l’examiner sur sa première leçon. Et s’y l’on m’y force, je suis contraint, assez ineptement, d’en tirer quelque matière de propos universels, sur quoy j’examine son jugement naturel : leçon qui leur est autant incognue, comme à moi la leur. »

Il a bien soin pourtant de montrer qu’il s’y entend aussi bien qu’un autre, et de relever les traits d’érudition qui peuvent faire honneur à son savoir pourvu qu’il soit bien entendu qu’il n’en fait aucun cas, et qu’il est au-dessus de ces pédanteries. Il se vante de n’avoir aucune rétention et d’être excellent en oubliance (je n’ay point de gardoire) ; car c’est par là que brillent les érudits. Enfin, c’est toute une petite manière de faire fi des qualités du savant, pour se relever par celles de l’homme de sens et de l’homme d’esprit, qui caractérise supérieurement l’esprit français, et que madame de Staël a si finement appelé le pédantisme de la légèreté (51).