mesquines de leurs auteurs. Est-il nécessaire que l’ouvrier qui extrait les blocs de la carrière ait l’idée du monument futur dans lequel ils entreront ? Parmi les laborieux travailleurs qui ont construit l’édifice de la science, plusieurs n’ont vu que la pierre qu’ils taillaient, ou tout au plus la région limitée où ils la plaçaient. Semblables à des fourmis, ils apportent chacun leur tribut individuel, renversent quelque obstacle, se croisent sans cesse, en apparence dans un désordre complet et ne faisant que se gêner les uns les autres. Et pourtant il arrive que, par les travaux réunis de tant d’hommes, sans qu’aucun plan ait été combiné à l’avance, une science se trouve organisée dans ses belles proportions. Un génie invisible a été l’architecte qui présidait à l’ensemble, et faisait concourir ces efforts isolés à une parfaite unité.
En étudiant les origines de chaque science, on trouverait que les premiers pas ont été presque toujours faits sans une conscience bien distincte, et que les études philologiques entre autres doivent une extrême reconnaissance à des esprits très médiocres, qui les premiers en ont posé les conditions matérielles. Ce n’étaient certes pas des génies que Hervas, Paulin de Saint-Barthélemi, Pigafetta, qui peuvent être regardés comme les fondateurs de la linguistique. Quel fait immense dans l’histoire de l’esprit humain que l’initiation du monde latin à la connaissance de la littérature grecque ! Les deux hommes qui y contribuèrent le plus, Barlaam et Léonce Pilati, étaient, au dire de Pétrarque et de Boccace, qui les pratiquèrent de si près, deux hommes aussi nuls que bourrus et fantasques. La plupart des Grecs émigrés qui ont joué un rôle si important dans le développement de l’esprit européen étaient des hommes plus que médiocres, de vrais manœuvres, qui