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Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/149

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vrais, au nom de Dieu, vrais comme Thalès quand, de sa propre initiative et par besoin intime, il se mit à spéculer sur la nature ; vrais comme Socrate, vrais comme Jésus, vrais comme saint Paul, vrais comme tous ces grands hommes que l’idéal a possèdes et entraînés après lui ! Laissons les gens du vieux temps dire petitement pour l’apologie de la science : elle est nécessaire comme toute autre chose ; elle orne, elle donne du lustre à un pays, etc… Niaiserie que tout cela ! Quelle est l’âme philosophique et belle, jalouse d’être parfaite, ayant le sentiment de sa valeur intérieure, qui consentirait à se sacrifier à de telles vanités, à se mettre de gaieté de cœur dans la tapisserie inanimée de l’humanité, à jouer dans le monde le rôle des momies d’un musée ! Pour moi, je le dis du fond de ma conscience, si je voyais une forme de vie plus belle que la science, j’y courrais. Comment se résigner à ce qu’on sait être le moins parfait ? Comment se mettre soi-même au rebut, accepter un rôle de parade, quand la vie est si courte, quand rien ne peut réparer la perte des moments qu’on n’a point donnés aux délices de l’idéal ? Ô vérité, sincérité de la vie ! ô sainte poésie des choses, avec quoi se consoler de ne pas te sentir ? Et à cette heure sérieuse à laquelle il faut toujours se transporter pour apprécier les choses à leur vrai jour, qui pourra mourir tranquille, si, en jetant un regard en arrière, il ne trouve dans sa vie que frivolité ou curiosité satisfaite ? La fin seule est digne du regard ; tout le reste est vanité. Vivre, ce n’est pas glisser sur une agréable surface, ce n’est pas jouer avec le monde pour y trouver son plaisir ; c’est consommer beaucoup de belles choses, c’est être le compagnon de route des étoiles ; c’est savoir, c’est espérer, c’est aimer, c’est admirer, c’est bien faire. Celui-là a le