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qui ferait l’histoire de la philologie moderne ne se croirait pas sans doute obligé de parler de nos grandes collections d’histoire civile et littéraire ni de ces brillantes œuvres de critique esthétique qui se sont élevées au niveau des plus belles créations philosophiques (55).

Le champ du philologue ne peut donc être plus défini que celui du philosophe, parce qu’en effet l’un et l’autre s’occupent non d’un objet distinct, mais de toutes choses à un point de vue spécial. Le vrai philologue doit être à la fois linguiste, historien, archéologue, artiste, philosophe. Tout prend à ses yeux un sens et une valeur, en vue du but important qu’il se propose, lequel rend sérieuses les choses les plus frivoles qui de près ou de loin s’y rattachent. Ceux qui, comme Heyne et Wolf, ont borné le rôle du philologue à reproduire dans sa science, comme en une bibliothèque vivante, tous les traits du monde ancien (56), ne me semblent pas en avoir compris toute la portée. La philologie n’a point son but en elle-même : elle a sa valeur comme condition nécessaire de l’histoire de l’esprit humain et de l’étude du passé. Sans doute plusieurs des philologues dont les savantes études nous ont ouvert l’antiquité, n’ont rien vu au delà du texte qu’ils interprétaient et autour duquel ils groupaient les mille paillettes de leur érudition. Ici, comme dans toutes les sciences, il a pu être utile que la curiosité naturelle de l’esprit humain ait suppléé à l’esprit philosophique et soutenu la patience des chercheurs.

Bien des gens sont tentés de rire en voyant des esprits sérieux dépenser une prodigieuse activité pour expliquer des particularités grammaticales, recueillir des gloses, comparer les variantes de quelque ancien auteur, qui n’est souvent remarquable que par sa bizarrerie ou sa