Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/195

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passages dont la trace n’est plus retrouvable par nos procèdes lents et pénibles. Qui pourrait ressaisir ces fugitives impressions ? Qui pourrait retrouver les sentiers capricieux que parcourut l’imagination des premiers hommes et les associations d’idées qui les guidèrent dans cette œuvre de production spontanée, où tantôt l’homme, tantôt la nature renouaient le fil brisé des analogies, et croisaient leur action réciproque dans une indissoluble unité ? Que dire encore de cette merveilleuse synthèse intellectuelle, qui fut nécessaire pour créer un système de métaphysique comme la langue sanskrite, un poème sensuel et doux comme l’hébreu ? Que dire de cette liberté indéfinie de créer, de ce caprice sans limite, de cette richesse, de cette exubérance, de cette complication qui nous dépasse ? Nous ne serions plus capables de parler le sanskrit ; nos meilleurs musiciens ne pourraient exécuter les octuples et les nonuples croches du chant des Illinois. Âges sacrés, âges primitifs de l’humanité, qui pourra vous comprendre !

À la vue de ces produits étranges des premiers âges, de ces faits qui semblent en dehors de l’ordre accoutumé de l’univers, nous serions tentés d’y supposer des lois particulières, maintenant privées d’exercice. Mais il n’y a pas dans la nature de gouvernement temporaire ; ce sont les mêmes lois qui régissent aujourd’hui le monde et qui ont présidé à sa constitution. La formation des différents systèmes planétaires et leur conservation ; l’apparition des être organisés et de la vie, celle de l’homme et de la conscience, les premiers faits de l’humanité ne furent que le développement d’un ensemble de lois physiques et psychologiques posées une fois pour toutes, sans que jamais l’agent supérieur, qui moule son action