Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/197

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proclamer que les lois actuelles ont suffi pour produire ces révolutions. Quelles étranges combinaisons ne durent pas amener ces conditions de vie qui nous paraissent fantastiques, parce qu’elles étaient différentes des nôtres. Et quand l’homme apparut sur ce sol encore créateur, sans être allaité par une femme, ni caressé par une mère, sans les leçons d’un père, sans aïeux ni patrie, songe-t-on aux faits étonnants qui durent se passer au premier réveil de son intelligence, à la vue de cette nature féconde, dont il commençait à se séparer ? Il dut y avoir dans ces premières apparitions de l’activité humaine une énergie, une spontanéité, dont rien ne saurait maintenant nous donner une idée. Le besoin, en effet, est la vraie cause occasionnelle de l’exercice de toute puissance. L’homme et la nature créèrent, tandis qu’il y eut un vide dans le plan des choses ; ils oublièrent de créer, sitôt qu’aucun besoin ne les y força. Ce n’est pas que dès lors ils aient compté une puissance de moins ; mais ces facultés productives, qui à l’origine s’exerçaient sur d’immenses proportions, privées désormais d’aliment, se trouvent réduites à un rôle obscur, et comme acculées dans un recoin de la nature. Ainsi l’organisation spontanée, qui à l’origine fit apparaître tout ce qui vit, se conserve encore sur une échelle imperceptible aux derniers degrés de l’échelle animale ; ainsi les facultés spontanées de l’esprit humain vivent dans les faits de l’instinct, mais amoindries et presque étouffées par la raison réfléchie ; ainsi l’esprit créateur du langage se retrouve dans celui qui préside à ses révolutions car la force qui fait vivre est au fond celle qui fait naître, et développer est en un sens créer. Si l’homme perdait le langage, il l’inventerait de nouveau. Mais il le trouve