Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/199

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était pour Montesquieu, un enchaînement de faits et de causes ; ce qu’elle était pour Vico, un mouvement sans vie et presque sans raison. Ce sera l’histoire d’un être, se développant par sa force intime, se créant et arrivant par des degrés divers à la pleine possession de lui-même. Sans doute il y a mouvement, comme le voulait Vico ; sans doute il y a des causes, comme le voulait Montesquieu ; sans doute il y a un plan imposé, comme le voulait Bossuet. Mais ce qu’ils n’avaient pas aperçu, c’est la force active et vivante, qui produit ce mouvement, qui anime ces causes, et qui, sans aucune coaction extérieure, par sa seule tendance au parfait, accomplit le plan providentiel. Autonomie parfaite, création intime, vie en un mot : telle est la loi de l’humanité.

Il est simple assurément, simple comme une pyramide, ce plan de Bossuet : commandement d’un côté, obéissance de l’autre ; Dieu et l’homme, le roi et le sujet, l’Église et le croyant. Il est simple, mais dur, et après tout il est condamné. Nous ferions désormais d’inutiles efforts pour imaginer comment conçoivent le monde ceux qui ne croient pas au progrès. S’il y a pour nous une notion dépassée, c’est celle des nations se succédant l’une à l’autre, parcourant les mêmes périodes pour mourir à leur tour, puis revivre sous d’autres noms, et recommencer ainsi sans cesse le même rêve. Quel cauchemar alors que l’humanité ! Quelles absurdités que les révolutions ! Quelle pâle chose que la vie ! Est-ce la peine vraiment, dans un si pauvre système, de se passionner pour le beau et le vrai, d’y sacrifier son repos et son bonheur ? Je conçois cette mesquine conception de l’existence actuelle chez l’orthodoxe sévère, qui transporte toute sa vie au delà. Je ne la conçois pas chez le philosophe.