Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/201

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Tel est l’esprit humain. De quel droit, pour en dresser la théorie, prenez vous l’homme du xixe siècle ? Il y a, je le sais, des éléments communs que l’examen de tous les peuples et de tous les pays rendra à l’analyse. Mais ceux-là, par leur stabilité même, ne sont pas les plus essentiels pour la science. L’élément variable et caractéristique a bien plus d’importance, et la physiologie ne paraît si souvent creuse et tautologique, que parce qu’elle se borne trop exclusivement à ces généralités de peu de valeur, qui la font parfois ressembler à la leçon de philosophie du Bourgeois gentilhomme. La linguistique tombe dans le même défaut quand, au lieu de prendre les langues dans leurs variétés individuelles, elle se borne à l’analyse générale des formes communes à toutes, à ce qu’on appelle grammaire générale.

Combien notre manière sèche et abstraite de traiter la psychologie est peu propre à mettre en lumière ces nuances différentielles des sentiments de l’humanité ! On dirait que toutes les races et tous les siècles ont compris Dieu, l’âme, le monde, la morale d’une manière identique (80). On ne songe pas que chaque nation, avec ses temples, ses dieux, sa poésie, ses traditions héroïques, ses croyances fantastiques, ses lois et ses institutions, représente une unité, une façon de prendre la vie, un ton dans l’humanité, une faculté de la grande âme. La vraie psychologie de l’humanité consisterait à analyser l’une après l’autre ces vies diverses dans leur complexité, et, comme chaque nation a d’ordinaire lié sa vie suprasensible en une gerbe spirituelle, qui est sa littérature, elle consisterait surtout dans l’histoire des littératures. Le second volume du Cosmos de M. de Humboldt (histoire d’un sentiment de l’humanité poursuivie dans toutes les races et à travers