Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/216

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choses que de belles statues allégoriques. Les choses ne valent que par ce qu’y voit l’humanité, par les sentiments qu’elle y a attachés, par les symboles qu’elle en a tirés. Cela est si vrai, que des pastiches des œuvres primitives, quelque parfaits qu’on les suppose, ne sont pas beaux, tandis que les œuvres sont sublimes. Une reproduction exacte de la pyramide de Ghizeh dans la plaine Saint-Denis serait un enfantillage. Dans les derniers temps de la littérature hébraïque, les savants composaient des psaumes imités des anciens cantiques avec une telle perfection que c’est à s’y tromper. Eh bien ! il faut dire que les vieux psaumes sont beaux, tandis que les modernes ne sont qu’ingénieux ; et pourtant le goût le plus exercé peut à peine les discerner.

La beauté d’une œuvre ne doit jamais être envisagée abstraitement et indépendamment du milieu où elle est née. Si les chants ossianiques de Macpherson étaient authentiques, il faudrait les placer à côté d’Homère. Du moment qu’il est constaté qu’ils sont d’un poète du xviiie siècle, ils n’ont plus qu’une valeur très médiocre. Car ce qui fait le beau, c’est le souffle vrai de l’humanité, et non pas la lettre. Je suppose qu’un homme d’esprit (c’est presque le cas d’Apollonius de Rhodes), pût attraper le pastiche du style homérique de manière à composer un poème exactement dans le même goût, un poème qui fût à Homère ce que les Paroles d’un Croyant sont à la Bible ; ce poème, aux yeux de plusieurs, devrait être supérieur à Homère car il serait loisible à l’auteur d’éviter ce que nous considérons comme des défauts, ou du moins les manques de suite, les contradictions. Je voudrais bien savoir comment les critiques absolus feraient pour prouver que ce poème est en effet