Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/227

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nouit en elle sous une de ses formes. La critique a admiré jusqu’ici les chefs-d’œuvre des littératures, comme nous admirons les belles formes du corps humain. La critique de l’avenir les admirera comme l’anatomiste, qui perce ces beautés sensibles pour trouver au delà, dans les secrets de l’organisation, un ordre de beautés mille fois supérieur. Un cadavre disséqué est en un sens horrible ; et pourtant l’œil de la science y découvre un monde de merveilles.

Selon cette manière de voir, les littératures les plus excentriques, celles qui jugées d’après nos idées auraient le moins de valeur, celles qui nous transportent le plus loin de l’actuel, sont les plus importantes. L’anatomie comparée tire bien plus de résultats de l’observation des animaux inférieurs que de l’observation des espèces supérieures. Cuvier aurait pu disséquer durant toute sa vie des animaux domestiques sans soupçonner les hauts problèmes que lui a révélés l’étude des mollusques et des annélides. Ainsi ceux qui ne s’occupent que des littératures régulières, qui sont dans l’ordre des productions de l’esprit ce que les grands animaux classiques sont dans l’échelle animale, ne sauraient arriver à concevoir largement la science de l’esprit humain (93). Ils ne voient que le côté littéraire et esthétique ; bien plus, ils ne peuvent le comprendre grandement et profondément. Car ils ne voient pas la force divine qui végète dans toutes les créations de l’esprit humain. Aussi que sont les ouvrages de littérature en France ? D’élégantes et fines causeries morales, jamais des œuvres majestueuses et scientifiques. Aucun problème n’est posé ; la grande cause n’est jamais aperçue. On fait la science des littératures comme ferait de la botanique un fleuriste ama-