Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/260

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quoi consacrer à des travaux sans valeur et destinés à devenir inutiles des moments qu’il pourrait employer si utilement à des recherches définitives ? Pourquoi faire de longs volumes, parmi lesquels un seul peut-être aura une valeur réelle ? C’est pitié de voir un savant, pour ne pas perdre un chapitre de son livre, condamné à faire l’histoire de la médecine chinoise à peu près dans les mêmes conditions qu’un homme qui ferait l’histoire de la médecine grecque d’après quelque mauvais ouvrage arabe ou du moyen âge. Et voilà pourtant à quoi il se condamnerait fatalement par le cadre même de son livre.

C’est une curieuse expérience que celle-ci, et je parierais qu’on la ferait sans exception sur toutes les histoires générales. Présentez ces histoires à chacun des hommes spéciaux dans une des parties dont elles se composent, je mets en fait que chacun d’eux trouvera sa partie détestablement traitée. Ceux qui ont étudié Aristote trouvent que Ritter a mal résumé Aristote, ceux qui ont étudié le stoïcisme trouvent qu’il a parlé superficiellement du stoïcisme. Je présentai un jour à mon savant ami le docteur Daremberg, l’Histoire de la Philologie de Græfenhan, pour qu’il en examinât la partie médicale. Il la trouva traitée sans aucune intelligence du sujet. N’est-il pas bien probable que tel autre savant spécial eût jugé de même les parties relatives à l’objet de ses recherches ? En sorte que, pour vouloir trop embrasser, on arrive à ne satisfaire personne, à moins, je le répète, que l’auteur de l’histoire générale ne soit lui-même spécial dans une branche, auquel cas il eût mieux fait de s’y borner.

Des monographies sur tous les points de la science, telle devrait donc être l’œuvre du xixe siècle ; œuvre pénible, humble, laborieuse, exigeant le dévouement le