Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/267

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même manière. Un écrivain de troisième main procédera ainsi sur son prédécesseur, et ainsi, à moins de se retremper continuellement aux sources, la science historique est toujours inexacte et suspecte.

La connaissance qu’eut le moyen âge de l’antiquité classique est l’exemple le plus frappant de ces modifications insensibles des faits primitifs, qui amènent les plus étranges erreurs ou les façons les plus absurdes de se représenter les faits. Le moyen âge connut beaucoup de choses de l’antiquité grecque, mais rien, absolument rien, de première main (102) ; de là des méprises incroyables. Ils croient pouvoir combiner à leur façon les notions éparses et incomplètes qu’ils possèdent, et multiplient ainsi l’inexactitude, qui, au bout de trois ou quatre siècles, devint telle que, quand au xive siècle la véritable antiquité grecque commença d’être immédiatement connue, il sembla que ce fut la révélation d’un autre monde. Les encyclopédistes latins, Martien Capella, Boèce, Isidore de Séville, ne font guère que compiler des cahiers d’école et mettre bout à bout des données traditionnelles. Bède et Alcuin connaissent bien moins l’antiquité que Martien Capella ou Isidore. Vincent de Beauvais est encore bien plus loin de la vérité. Au xive siècle enfin (hors de l’Italie), l’inexactitude atteint ses dernières limites ; la civilisation grecque n’est pas plus connue que ne le serait l’Inde si, pour rétablir le monde indien, on n’avait que les notions que nous en ont laissées les écrivains de l’antiquité classique.

Plusieurs parties de l’histoire littéraire, qui ne sont pas encore suffisamment vivifiées par l’étude immédiate des sources, offrent des inexactitudes comparables à celles que commettait le moyen âge. C’est certes un scrupuleux