Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/295

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primitive à l’analyse et à la clarté ? N’est-ce pas l’étude des langues primitives qui nous a révélé les caractères primitifs de l’exercice de la pensée, la prédominance de la sensation, et cette sympathie profonde qui unissait alors l’homme et la nature ? Quel tableau, enfin, de l’esprit humain vaut celui que fournit l’étude comparée des procédés par lesquels les races diverses ont exprimé les nexes différents de la pensée ? Je ne connais pas de plus beau chapitre de psychologie que les dissertations de M. de Humboldt sur le duel, sur les adverbes de lieu, ou celles que l’on pourrait faire sur la comparaison des conjugaisons sémitique et indo-germanique, sur la théorie générale des pronoms, sur la formation des radicaux, sur la dégradation insensible et l’existence rudimentaire des procédés grammaticaux dans les diverses familles, etc. Ce qu’on ne peut trop répéter, c’est que, par les langues, nous touchons le primitif. Les langues, en effet, ne se créent pas de procédés nouveaux, pas plus qu’elles ne se créent de racines nouvelles. Tout progrès pour elles consiste à développer tel ou tel procédé, à faire dévier le sens des radicaux, mais nullement à en ajouter de nouveaux. Le peuple et les enfants seuls ont le privilège de créer des mots et des tours sans antécédent, pour leur usage individuel. Jamais l’homme réfléchi ne se met à combiner arbitrairement des sons pour désigner une idée nouvelle, ni à créer une forme grammaticale pour exprimer un nexe nouveau. Il suit de là que toutes les racines des familles diverses ont eu leur raison dans la façon de sentir des peuples primitifs, et que tous les procédés grammaticaux proviennent directement de la manière dont chaque race traita la pensée ; que le langage, en un mot, par toute sa construction, remonte aux premiers jours