Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/302

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

philosophique se combine d’un peu de mysticisme, c’est-à-dire de fantaisie et de religion individuelle.

Les religions sont ainsi l’expression la plus pure et la plus complète de la nature humaine, le coquillage où se moulent ses formes, le lit où elle se repose et laisse empreintes les sinuosités de ses contours. Les religions et les langues devraient être la première étude du psychologue. Car l’humanité est bien plus facile à reconnaître dans ses produits que dans son essence abstraite, et dans ses produits spontanés que dans ses produits réflexes. La science, étant tout objective, n’a rien d’individuel et de personnel : les religions, au contraire, sont par leur essence individuelles, nationales, subjectives en un mot. Les religions ont été formées à une époque où l’homme se mettait dans toutes ses œuvres. Prenez un ouvrage de science moderne, l’Astronomie physique de M. Biot ou la Chimie de M. Regnault c’est l’objectivité la plus parfaite ; l’auteur est complètement absent ; l’œuvre ne porte aucun cachet national ni individuel ; c’est une œuvre intellectuelle, et non une œuvre humaine. La science populaire, et à beaucoup d’égards la science ancienne, ne voyaient l’homme qu’à travers l’homme, et le teignaient de couleurs tout humaines. Longtemps encore après que les modernes se furent créé des moyens d’observation plus parfaits, il resta de nombreuses causes d’aberration, qui défaçonnaient et altéraient de couleurs étrangères les contours des objets. La lunette, au contraire, avec laquelle les modernes voient le monde est du plus parfait achromatisme. S’il y a d’autres intelligences que celle de l’homme, nous ne concevons pas qu’elles puissent voir autrement. Les œuvres scientifiques ne peuvent donc en aucune façon donner une idée