Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/323

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était impossible. Hérodote et Tite-Live devaient être tenus pour des historiens sérieux, Homère devait passer pour un poète individuel, avant que l’étude comparée des littératures eût révélé les faits si délicats du mythisme, de la légende primitive, de l’apocryphisme. Si le xviie siècle eût connu comme nous l’Inde, la Perse, la vieille Germanie, il n’eût pas si lourdement admis les fables des origines grecques et romaines. Bossuet, dont la gloire est de représenter dans un merveilleux abrégé tout le xviie siècle, sa grandeur comme sa faiblesse, eût-il porté dans son exégèse une si détestable critique, si, au lieu de faire son éducation biblique dans saint Augustin, il l’eût faite dans Eichhorn ou De Wette (134) ?

Le sens critique ne s’inocule pas en une heure celui qui ne l’a point cultivé par une longue éducation scientifique et intellectuelle trouvera toujours des arguments à opposer aux plus délicates inductions. Les thèses de la fine critique ne sont pas de celles qui se démontrent en quelques minutes, et sur lesquelles on peut forcer l’adversaire ignorant ou décidé à ne pas se prêter aux vues qu’on lui propose. S’il y a parmi les œuvres de l’esprit humain des mythes évidents, ce sont assurément les premières pages de l’histoire romaine, les récits de la tour de Babel, de la femme de Loth, de Samson ; s’il y a un roman historique bien caractérisé, c’est celui de Xénophon : s’il y a un historien conteur, c’est Hérodote. Ce serait pourtant peine perdue que de chercher à le démontrer à ceux qui refusent de se placer a ce point de vue. Élever et cultiver les esprits, vulgariser les grands résultats de la science est le seul moyen de faire comprendre et accepter les idées nouvelles de la critique. Ce qui convertit, c’est la science, c’est la philologie, c’est la vue