Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/341

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méthode philosophique est de maintenir distinct ce qui est distinct, de ne pas devancer les faits par une réduction précipitée à l’unité, de ne pas reculer devant la multiplicité des causes. Rien de mieux, à condition pourtant que, par une vue ultérieure, on se tienne assuré que cette réduction à l’unité, qui n’est point mûre encore, se fera un jour. Certes, il serait bien étrange qu’il y eût dans la nature soixante et un corps simples, ni plus ni moins, qu’il y eût dans l’homme huit ou dix facultés, ni plus ni moins. L’unité est au fond des choses ; mais la science doit attendre qu’elle apparaisse, tout en se tenant assurée qu’elle apparaîtra. On a tort de reprocher à la science de se reposer ainsi dans la diversité mais la science aurait tort, de son côté, si elle ne faisait ses réserves et ne reconnaissait cette diversité provisoire comme devant disparaître un jour devant une investigation plus profonde de la nature.

L’état actuel est critiquable et incomplet. La belle science, la science complète et sentie sera pour l’avenir, si la civilisation n’est pas une fois encore arrêtée dans sa marche par la superstition aveugle et l’invasion de la barbarie, sous une forme ou sous une autre. Mais, quoi qu’il arrive, lors même qu’une Renaissance redeviendrait nécessaire, il est indubitable qu’elle aurait lieu, que les barbares s’appuieraient sur nous comme sur des anciens pour aller plus loin que nous, et ouvrir à leur tour des points de vue nouveaux. On nous plaindra alors, nous, les hommes de l’âge d’analyse, réduits à ne voir qu’un coin des choses ; mais on nous honorera d’avoir préféré l’humanité à nous-mêmes, de nous être privés de la douceur des résultats généraux, afin de mettre l’avenir en état de les tirer avec certitude, bien différents de ces égoïstes