Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/346

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été comme imperceptible dans l’humanité. La plus modeste des religions a eu mille fois plus de sectateurs et a plus influé sur les destinées du genre humain que toutes les écoles réunies. La philosophie à notre manière suppose une longue culture et des habitudes d’esprit dont très peu sont capables. Je ne sais si hors de Paris il est possible en France de se mettre bien délicatement à ce point de vue, et je craindrais de trop dire en avançant qu’il y a actuellement au monde deux ou trois milliers de personnes capables d’adorer de cette manière. Mais les humbles ne sont pas pour cela exclus de l’idéal. Leurs formules, quoique inférieures, suffisent pour leur faire mener une noble vie, et le peuple surtout a dans ses grands instincts et sa puissante spontanéité, une ample compensation de ce qui lui est refusé en fait de science et de réflexion. Celui qui peut comprendre la prédication d’un Jocelyn de village, et ces paraboles,


Où le maître, abaissé jusqu’au sens des humains,
Faisait toucher le ciel aux plus petites mains.



est-il donc déshérité de la vie céleste ? Tout homme, par le seul fait de sa participation à la nature humaine, a son droit à l’idéal mais ce serait aller contre l’évidence que de prétendre que tous sont également aptes a en goûter les délices. Tout en disant avec M. Michelet « Oh ! qui me soulagera de la dure inégalité ! » tout en reconnaissant qu’en fait d’intelligence, l’inégalité est plus pénible au privilégié qu’à l’inférieur, il faut avouer que cette inégalité est dans la nature et que la formule théologique conserve ici sa parfaite vérité tous ont la grâce suffisante pour faire leur salut, mais tous ne sont pas appelés à la même perfection. Marie a la meilleure part qui ne lui sera point