Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/375

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de la doctrine à l’humanité. Si le catholicisme est le vrai, les prétentions les plus extrêmes des ultramontains sont légitimes, l’Inquisition est une institution bienfaisante. En effet, comme de ce point de vue la saine croyance est le plus grand bien auquel tout le reste doit être sacrifié, le souverain fait acte de père en séparant le bon grain de l’ivraie et brûlant celle-ci. Rien ne tient devant la seule chose nécessaire, sauver les âmes. Le compelle intrare est légitime par ses résultats. Si, en sacrifiant mille âmes gangrenées, on peut espérer en sauver une, l’orthodoxie les trouvera suffisamment compensées (150). J’en suis bien fâché, mais rien ne dispense de la question dogmatique. Nos délicats qui maintiennent toujours cette question en dehors, s’interdisent en toute chose les solutions logiques.

Il est d’un petit esprit de supposer un ordre absolument légal, contre lequel il n’y a pas d’objection et qui s’impose absolument. L’état d’une société n’est jamais tout à fait légal, ni tout à fait illégal. Tout état social est forcément illégal, en tant qu’imparfait, et tend toujours à plus de légalité, c’est-à-dire à plus de perfection. Il n’est pas moins superficiel de supposer que le gouvernement n’est que l’expression de la volonté du plus grand nombre, en sorte que le suffrage universel serait de droit naturel et que, ce suffrage étant acquis, il n’y aurait qu’à laisser la volonté du peuple s’exprimer. Cela serait trop simple. Il n’y a que des pédants de collège, des esprits clairs et superficiels qui aient pu se laisser prendre à l’apparente évidence de la théorie représentative. La masse n’a droit de gouverner que si l’on suppose qu’elle sait mieux que personne ce qui est le meilleur. Le gouvernement représente la raison, Dieu, si l’on veut, l’humanité dans le sens élevé (c’est-à-dire les hautes tendances de la