Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/377

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conduite ! Cette manie qu’ont les sots de vouloir qu’on leur donne la raison de ce qu’ils ne peuvent comprendre et de se fâcher quand ils ne comprennent pas, est un des plus grands obstacles au progrès. Les sages de l’avenir la mépriseront.

Mais comment, direz-vous, imposer a la majorité ce qui est le meilleur, si elle s’y refuse ? Ah ! là est le grand art. Les sages anciens avaient pour cela des moyens fort commodes, des oracles, des augures, des Égéries, etc. D’autres ont eu des armées. Tous ces moyens sont devenus impossibles. La religion de l’avenir tranchera la difficulté de sa lourde épée. Apprenons au moins à n’être pas si sévères contre ceux qui ont employé un peu de duperie et ce qu’on est convenu d’appeler corruption, si réelltement (condition essentielle) ils n’ont eu pour but que le plus grand bien de l’humanité. S’ils n’ont eu en vue, au contraire, que des considérations égoïstes, ce sont des tyrans et des infâmes.

C’est rendre un mauvais service a un pupille que de lui remettre trop tôt la disposition de ses biens. Mais c’est un crime de le tenir dans l’idiotisme pour le garder indéfiniment en tutelle. Mieux vaut encore une émancipation prématurée ; car, après quelques folies, elle peut contribuer à ramener la sagesse.

Jusqu’à ce que le peuple soit initié à la vie intellectuelle, l’intrigue et le mensonge sont évidemment mis aux enchères. Il s’agit de capter le vieillard aveugle, et pour cela de mentir, de flatter. Les tableaux si vivants d’Aristophane n’ont rien d’exagéré. Le suffrage du peuple non éclairé ne peut amener que la démagogie ou l’aristocratie nobiliaire, jamais le gouvernement de la raison. Les philosophes, qui sont les souverains de droit divin, agacent