Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/38

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est contraire à la dignité humaine et à la perfection de l’individu. Envisagé comme homme, un Newton, un Cuvier, un Heyne, rend un moins beau son qu’un sage antique, un Solon ou un Pythagore par exemple. La fin de l’homme n’est pas de savoir, de sentir, d’imaginer, mais d’être parfait, c’est-à-dire d’être homme dans toute l’acception du mot ; c’est d’offrir dans un type individuel le tableau abrégé de l’humanité complète, et de montrer réunies dans une puissante unité toutes les faces de la vie que l’humanité a esquissées dans des temps et des lieux divers. On s’imagine trop souvent que la moralité seule fait la perfection, que la poursuite du vrai et du beau ne constitue qu’une jouissance, que l’homme parfait, c’est l’honnête homme, le frère morave par exemple. Le modèle de la perfection nous est donné par l’humanité elle-même ; la vie la plus parfaite est celle qui représente le mieux toute l’humanité. Or l’humanité cultivée n’est pas seulement morale ; elle est encore savante, curieuse, poétique, passionnée.

Ce serait sans doute porter ses espérances sur l’avenir de l’humanité au delà des limites respectées par les plus hardis utopistes, que de penser que l’homme individuel pourra un jour embrasser tout le champ de la culture intellectuelle. Mais il y a dans les branches diverses de la science et de l’art deux éléments parfaitement distincts et qui, également nécessaires pour la production de l’œuvre scientifique ou artistique, contribuent très inégalement à la perfection de l’individu : d’une part, les procédés, l’habileté pratique, indispensables pour la découverte du vrai ou la réalisation du beau ; de l’autre, l’esprit qui crée et anime, l’âme qui vivifie l’œuvre d’art, la grande loi qui donne un sens et une valeur à telle dé-