Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/397

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de toutes les grandes réformes. Il semble au premier coup d’œil qu’elles ont été vaincues. Mais de fait la réaction qui leur a résisté n’en a triomphé qu’en leur cédant ce qu’elles renfermaient de juste et de légitime. On pourrait dire des réformes comme des croisades : Aucune n’a réussi ; toutes ont réussi. Leur défaite est leur victoire, ou plutôt nul ne triomphe absolument dans ces grandes luttes, si ce n’est l’humanité, qui fait son profit et de l’énergique initiative des novateurs, et de la réaction, qui sans le vouloir corrige et améliore ce qu’elle voulait étouffer.

Il faut, à mon sens, savoir bon gré à ceux qui tentent un problème, lors même qu’ils sont fatalement condamnés a ne pas le résoudre. Car, avant d’arriver à la bonne solution, il faut en essayer beaucoup de mauvaises, il faut rêver la panacée et la pierre philosophale. Je ne puis faire grand cas de cette sagesse toute négative, si en faveur parmi nous, qui consiste à critiquer les chercheurs et à se tenir immobile dans sa nullité pour rester possible et ne pas être subversif. C’est un petit mérite de ne pas tomber quand on ne fait aucun mouvement. Les premiers qui abordent un nouvel ordre d’idées sont condamnés à être des charlatans de plus ou moins bonne foi. Il nous est facile aujourd’hui de railler Paracelse, Agrippa, Cardan, Van Helmont, et pourtant sans eux nous ne serions pas ce que nous sommes. L’humanité n’arrive à la vérité que par des erreurs successives. C’est le vieux Balaam qui tombe et ses yeux s’ouvrent (154). A voir les flots rouler sur la plage leurs montagnes toujours croulantes, le sentiment qu’on éprouve est celui de l’impuissance. Cette vague venait si fière, et elle s’est brisée au grain de sable, et elle expire en caressant faiblement la rive qu’elle sem-