Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/399

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Chercher l’équilibre stable et le repos à une pareille époque, c’est chercher l’impossible ; on est fatalement dans le provisoire et l’instable. Le calme n’est qu’un armistice, un point d’arrêt pour prendre haleine. L’humanité, quand elle est fatiguée, consent à surseoir ; mais surseoir n’est pas se reposer. Il est impossible à la société de trouver le calme dans un état où elle souffre d’une plaie réelle, comme celle qu’elle porte de nos jours. La conscience seule du mal empêche le repos. On ne fait que sommeiller entre deux accès. A une telle époque nul n’a raison, si ce n’est le critique qui ne prononce pas. Car le siècle est sous le coup d’un problème à la fois inévitable et insoluble. À ces époques, l’embarras et l’indécision sont le vrai ; celui qui n’est pas embarrassé est un petit esprit ou un charlatan. La vie de l’humanité, comme la vie de l’individu, pose sur des contradictions nécessaires. La vie n’est qu’une transition, un intolérable longtemps continué. Il n’y a pas de moment où l’on puisse dire qu’on repose sur le stable ; on espère y arriver, et ainsi l’on va toujours.

Il ne faut donc pas s’étonner de ces antinomies insolubles. Il n’y a que les esprits étroits qui puissent se faire à chaque moment un système net, arrondi, et s’imaginer qu’avec une Constitution à priori on pourra combler ce vide infini (155). L’homme de parti a besoin de croire qu’il a absolument raison, qu’il combat pour la sainte cause, que ceux qu’il a en face de lui sont des scélérats et des pervers. L’homme de parti veut imposer ses colères à l’avenir, sans songer que l’avenir n’a de colère contre personne, que Spartacus et Jean de Leyde ne sont pour nous qu’intéressants. Chose étrange ! on est impartial et critique pour les fanatismes du passé, et on est soi-même