Page:Renan - L’Avenir de la science, pensées de 1848.djvu/402

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diocrité est facilement satisfaite ; les grandes âmes sont toujours inquiètes, agitées, car elles aspirent sans cesse au meilleur. L’infini seul pourrait les rassasier.

L’humanité est ainsi dans la position d’un malade, qui souffre dans toutes les positions, et pourtant se laisse toujours leurrer par l’espérance qu’il sera mieux en changeant de côté. Les révolutions sont les ébranlements de cet éternel Encelade se retournant sur lui-même quand l’Etna pèse trop fort. Il est superficiel d’envisager l’histoire comme composée de périodes de stabilité et de périodes de transition. C’est la transition qui est l’état habituel. Sans doute l’humanité demeure plus ou moins longtemps sur certaines idées ; mais c’est comme l’oiseau de paradis de la légende, qui couve en volant. Tout est but, tout est moyen. Dans la vie humaine, l’âge mûr n’est pas le but de la jeunesse, la vieillesse n’est pas le but de l’âge mûr. Le but, c’est la vie entière prise dans son unité.

Il y a une illusion d’optique laquelle nous autres, nés de 1815 à 1830, nous sommes sujets. Nous n’avons pas vu de grandes choses ; alors nous nous reportons pour tout à la Révolution c’est là notre horizon, la colline de notre enfance, notre bout du monde ; or, il se trouve que cet horizon est une montagne ; nous mesurons tout sur cette mesure. Ceci est trompeur, et ne peut pas fournir d’induction pour l’avenir. Car, depuis l’invasion qui fait la limite de l’histoire ancienne et de l’histoire moderne, il n’y a pas de fait comme celui-là, et peut-être n’y en aura-t-il pas avant des siècles. Or, sitôt qu’il est question de révolution, s’agirait-il d’un enfantillage, nous nous reportons à cette gigantesque cataracte, et jamais aux changements bien plus lents que présente l’histoire antérieure, le xvie et le xviie siècle, par exemple.